Cet article est un résumé traduit en français d’une analyse originale proposée par Peter Koenig, macro-économiste et analyste géopolitique suisse.
La Syrie abandonnée : vers un nouveau Moyen-Orient ?
Depuis plus d'une décennie, la Syrie est le théâtre d'un conflit complexe et d'une crise humanitaire sans précédent. Ce conflit, souvent qualifié à tort de "guerre civile", résulte d'intérêts géopolitiques majeurs et de rivalités internationales. L’évolution récente, marquée par le retrait des principaux alliés de la Syrie et l’offensive rapide de forces étrangères et de groupes terroristes soutenus par des puissances extérieures, illustre les enjeux profonds qui redéfinissent la région.

Le retrait des alliés traditionnel
La Syrie, historiquement soutenue par la Russie, l’Iran et l’Irak, se retrouve aujourd’hui isolée. La Russie, bien qu’ayant initialement épaulé l’armée syrienne affaiblie, a progressivement réduit son implication. Ce retrait s’est intensifié parallèlement au conflit en Ukraine, orchestré, selon certains observateurs, pour occuper Moscou et l’empêcher de concentrer ses efforts sur le Moyen-Orient. Ce vide stratégique a ouvert la voie à une offensive rapide des "forces d’opposition", un terme englobant des groupes armés financés et soutenus par les États-Unis, Israël, le Royaume-Uni et la Turquie.
Une stratégie calculée
L’effondrement rapide des villes syriennes, notamment Alep, Hama et Damas, résulte d’une stratégie de déstabilisation élaborée depuis des années. Dès les années 2000, la Syrie a été ciblée pour son rôle crucial dans la région et son alliance avec la Russie. Le refus de Damas d’autoriser la construction d’un gazoduc reliant le Qatar à l’Europe, une initiative qui aurait concurrencé l’hégémonie énergétique russe, a servi de prétexte à une campagne de déstabilisation initiée par les États-Unis. Depuis 2011, le conflit s’est intensifié, alimenté par des financements et un soutien logistique à des groupes armés.
Le rêve du "Grand Israël"
Derrière ces événements, selon Peter Koenig, se cache un projet de redéfinition des frontières du Moyen-Orient : celui du "Grand Israël". Ce concept, porté par certains cercles sionistes israéliens et soutenu par des puissances occidentales, vise à élargir l’influence d’Israël sur une grande partie de la région, y compris la Syrie. L’annexion progressive des hauteurs du Golan, stratégiques pour leur position et leurs ressources, en est une illustration. Depuis 2024, Israël a intensifié ses frappes sur la Syrie, ciblant systématiquement ses infrastructures militaires pour préparer une prise de contrôle durable.
Le rôle des puissances occidentales
Le rôle des États-Unis, du Royaume-Uni et de leurs alliés dans cette crise est central. Sous couvert de lutte contre le terrorisme et de soutien à la démocratie, ces nations ont orchestré des campagnes de déstabilisation visant à affaiblir le gouvernement syrien. L’utilisation de groupes armés comme Hayat Tahrir al-Sham, financés et équipés par des puissances étrangères, a permis de créer un climat de chaos propice à la mise en place d’un nouvel ordre au Moyen-Orient.
L’effondrement de l’État syrien
Face à cette offensive, le président syrien Bachar al-Assad a quitté le pays, trouvant refuge en Russie. Le transfert forcé de son pouvoir à un gouvernement provisoire contrôlé par des forces étrangères symbolise l’échec de la souveraineté syrienne. Ce retrait marque la fin d’une ère pour la Syrie, autrefois reconnue pour sa diversité religieuse et son ouverture sociale.
Les conséquences régionales et mondiales
L’effondrement de la Syrie a entraîné une réorganisation majeure des équilibres stratégiques au Moyen-Orient. L’offensive israélienne, intensifiée depuis 2024, s’inscrit dans une logique de destruction systématique des infrastructures syriennes pour assurer une prise de contrôle à longs termes sur des zones stratégiques comme les hauteurs du Golan. La consolidation du projet du "Grand Israël", visant à étendre l’influence israélienne sur une grande partie de la région, redéfinit les rapports de force et accentue la polarisation géopolitique. L’absence de coordination entre les alliés traditionnels de la Syrie, notamment la Russie, l’Iran et la Chine, a permis à des puissances occidentales et régionales d’imposer leur domination, posant des questions sur la capacité de ces nations à contrer cette dynamique.
Un nouvel ordre mondial en gestation
Le conflit syrien illustre la montée en puissance d’un nouvel ordre mondial où des ambitions globales priment sur la souveraineté des États. La Russie, malgré ses avertissements et ses tests de missiles comme l'Oreshnik, n’a pas réussi à s’imposer en tant que contrepoids efficace face à l’hégémonie occidentale dans ce conflit. De son côté, la Turquie, tout en affichant une rhétorique critique envers Israël, semble avoir profité de la situation pour renforcer son contrôle sur certaines régions frontalières syriennes.
En conséquence, la Syrie, autrefois un modèle de coexistence religieuse et d’ouverture sociale dans la région, se retrouve aujourd’hui réduite à un territoire fragmenté et sous contrôle étranger. Le projet ambitieux du Grand Israël pourrait préfigurer une redéfinition des frontières au Moyen-Orient, avec des implications énergétiques, politiques et économiques profondes. Ce bouleversement laisse entrevoir une érosion de l’ordre international traditionnel, marquant l’émergence d’un paysage géopolitique dominé par des rivalités toujours plus exacerbées.
Avec la collaboration de Matthias Faeh
Éclairage eschatologique sur le concept du Grand Israël
La vision eschatologique du "Grand Israël" est ancrée dans des interprétations religieuses et historiques des textes sacrés juifs. Selon certaines lectures de la Bible hébraïque, notamment dans la Genèse 15:18-21, la Terre promise aux enfants d'Israël s'étendrait "du fleuve d'Égypte jusqu'au grand fleuve, le fleuve Euphrate". Cette description a conduit à l'idée d'un "Grand Israël" englobant des territoires allant de l'Égypte à l'Irak actuels.
Dans l'eschatologie juive, qui traite des événements de la fin des temps, le rétablissement d'Israël dans ses frontières bibliques est parfois perçu comme une étape préalable à l'ère messianique. Les prophètes de la Bible évoquent un futur où Israël serait restauré et où la "justice et la paix prévaudraient". Cette vision nourrit chez certains une aspiration à voir Israël retrouver ses frontières antiques, interprétées comme une condition à l'avènement du "Messie des Sionistes" et à la rédemption finale.
Cependant, il est important de noter que ces interprétations varient largement au sein des différentes traditions et courants du judaïsme. Tous les Juifs ne partagent pas cette vision expansionniste, et beaucoup considèrent que l'ère messianique judaïque est davantage liée à des transformations spirituelles et éthiques qu'à des réalités géopolitiques. De plus, l'utilisation contemporaine du concept de "Grand Israël" est souvent associée à des mouvements nationalistes et politiques, et ne reflète pas nécessairement les croyances religieuses de l'ensemble de la communauté juive. Isabelle A. Bourgeois
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