Je me suis présentée dernièrement dans une station-service pour m’acheter mon petit péché mignon, une tête au choco, anciennement baptisée « tête de nègre », vous savez, ces boules nappées de chocolat et fourrées d’une mousse irrésistible de blancs en neige sucrés. En me présentant à la caisse, j’ai énuméré à haute voix la liste de mes achats pour l’employé noir de peau. Au moment de prononcer « tête de nèg… », je me suis aussitôt reprise en bredouillant «euh, pardon, une tête au choco », les yeux baissés sur le bout de mes chaussures, les pommettes écarlates. C’est alors que l’employé s’est mis à déployer son accordéon de dents blanches et à rigoler généreusement en clamant :
« Pas de problème, M’dame ! Vous pensez franchement que je m’identifie à ce truc ? À une p'tite boule creuse au choco ? Si je m’étais vexé, c'est ça qui aurait prouvé que je ne valais pas 2 francs ! Et puis vous savez pourquoi c’est pas raciste de demander une « tête de nègre » ?
- Euh, non… ai-je répondu, curieuse.
- Et ben, parce qu’y a plein de blancs battus ! »

J’ai quitté la station sur un grand éclat de rire, avec un sujet de dissertation passionnant pour mes neurones et, je l'espère, pour mes lecteurs. Il faut dire que ce nom de « tête de nègre » reflétait une terminologie héritée d'une époque où ces références étaient largement acceptées, sans nécessairement exprimer un caractère offensant. J’ai été touchée par la profonde sagesse de ce caissier. Une fois de plus, la conscience jaillit partout, d’une salle de méditation à la caisse d’une pompe à essence.
En revenant vers ma voiture, je me suis demandé si on allait bientôt exiger de renommer la célèbre Tête de moine pour ne pas vexer les religieux un peu chauves, le clafoutis Napoléon pour ne pas nuire à son illustre mémoire, les chocolats Giscard, parce qu’indignes d’un président, le soufflé Rothschild parce que trop apprécié des complotistes ou les fraises Sarah Bernard qui réduisent ce grand écrivain à un plant de potager.
Ce phénomène atteint son paroxysme avec le changement de titre du célèbre roman policier d'Agatha Christie "Dix Petits Nègres", l’un des ouvrages les plus lus et vendus au monde. Désormais amputé du mot « nègre » dans sa version française, le titre subit cette révision au nom d’une soi-disant prévention : ne pas blesser.
La « cancel culture » (culture de l’annulation) ne combat en rien le racisme, un mal qui trouve ses racines dans les croyances, les comportements et les expériences personnelles. Lutter contre ce phénomène passe par l’éducation et le dialogue, non par une révision sémantique. Modifier un mot devenu péjoratif n’efface pas le racisme de l’esprit, tout comme le prononcer avec insouciance ne fait pas de nous des affreux colons ou des esclavagistes ! La grandeur humaine et le respect mutuel ne relèvent pas d’une terminologie hypocrite singeant parfois la langue des Précieuses de jadis, mais d’une élévation de conscience, d’un regard porté sur l’autre avec ouverture et intelligence. Ce n’est ni la prononciation du mot « nègre », ni son effacement qui changent la perception ou la réalité. Aimer véritablement les différences culturelles, c’est bien plus qu’un exercice lexical : c’est un acte de compréhension et d’humanité profondes.
En pensant prévenir cette polarisation au cœur des tensions raciales, ethniques, nationalistes ou de genres, les idéologues totalitaires du « prêt-à-penser » nous imposent la police de l’esprit et le nouveau lexique biblique des mots tolérables.
A cela, j’ai pour réponse un seul désherbant imparable : la dés-identification individuelle et collective. Cette remontée extrême des identifications, de la tête au choco à Black Lives Matter, a ceci de bon qu'elle indique probablement une ultime poussée de fièvre, signe que le corps de l'humanité lutte contre une maladie infectieuse jusqu'à sa guérison.
Une seule échappatoire à la prison des dogmes et des concepts
Se dés-identifier ne signifie pas renier ses racines, mais plutôt les libérer des enfermements. Cela consiste à reconnaître la richesse de ses multiples appartenances. On peut célébrer ses traditions culturelles sans réduire son identité à sa couleur de peau ou à sa foi. De même, on peut aimer sa patrie sans sacraliser un drapeau ni exclure les autres. Raffoler de raclette, de röstis et de birchermüsli ne fait pas de moi une extrémiste de droite, ou bien ? Sortir une bonne blague sur des Juifs en papillotes, façon Popeck, ou sur la radinerie des Écossais, la petite taille des Appenzellois ou sur les blondes... ne fait pas de moi une antisémite, une raciste ou une anti-suisse. Et je tremble déjà à l’idée que l’on interdise le film culte Les Aventures de Rabbi Jacob incarné par l’inoubliable Louis de Funès !

Alors, face à ce resserrement de la liberté d’expression, puissions-nous faire contrepoids en appliquant à nous-mêmes la pratique de la dés-identification. Cette dés-identification est un acte de liberté pour soi et pour les autres. Elle permet de dépasser les carcans idéologiques et de construire une solidarité universelle, sans tomber dans le filet des mondialistes qui usent et abusent de ce discours faussement unificateur pour piéger les papillons humains les plus compassionnels.
En effet, contrairement à l’idéologie mondialiste qui prône l’effacement des différences culturelles pour créer une unité standardisée, la dés-identification valorise la diversité, avec pour axe, la transcendance. Le mondialisme tend à gommer les spécificités locales au profit d’une homogénéité globale, désacralisée, souvent influencée par des modèles dominants matérialistes. Il exclut de l’équation la dimension co-créatrice de l’Homme en partenariat avec les lois universelles. En revanche, la dés-identification prône une unité dans la diversité, où chaque identité est vécue pleinement, alignée sur l’intelligence de vie et les circuits de la conscience infinie.
S’identifier, c’est croire que nous sommes les fruits de nos fabrications mentales. Ce "faux moi" qui prétend nous définir, a été longuement exploré par des penseurs et sages visionnaires tels qu’Alan Watts, Osho, Sri Aurobindo, Rumi et l’initié québécois Bernard de Montréal.

Pour Alan Watts, voix résonante de la philosophie zen et du taoïsme, « nous sommes comme des vagues qui se croient distinctes de l’océan ». En abandonnant cette illusion, nous découvrons la fluidité d’un monde où tout est interconnecté. La méditation, l’observation des pensées, deviennent alors des outils précieux pour révéler cette vérité cachée : l’ego n’est qu’un passager de notre esprit, et non le maître de notre aventure terrestre.
Pour Osho, « l’ego, ce n’est pas nous, c’est ce que le monde a fabriqué pour nous contrôler ». La libération passe alors par une rébellion intérieure : une remise en question radicale des rôles que l’on joue, des masques que l’on porte.
Dans la vision mystique de Sri Aurobindo, l’ego est une étape nécessaire, mais provisoire, sur le chemin de l’évolution humaine. Il agit comme un outil pour structurer la conscience dans les premiers stades de la vie. Mais, passé un certain point, il devient une entrave, un mur qui sépare l’homme de sa véritable destinée : incarner le Divin dans le monde matériel. Pour lui, se libérer de l’ego, c’est permettre au Soi supérieur de descendre dans la conscience humaine, transformant chaque pensée, chaque action en une offrande divine.
Pour Rumi, le poète mystique du soufisme, l’identification aux phénomènes du monde extérieur est un voile entre l’homme et l’Amour. Dans ses vers enflammés, Rumi appelle à une dissolution totale de ce "faux moi" par l’extase, la dévotion et l’abandon. « Brûle ton ego, et regarde : tout ce qui reste, c’est la lumière », écrit-il. Les danses des derviches tourneurs, les chants sacrés et la contemplation deviennent les moyens de cette alchimie mystique, où l’homme se dissout dans l’Amour universel.
Selon Bernard de Montréal, l’un de mes penseurs ésotériques préférés, ces identités agissent comme des filtres qui nous maintiennent dans une perception limitée et souvent illusoire de nous-mêmes et de la réalité. Pour lui, comme pour tous les grands maîtres finalement, il s’agit d’atteindre une véritable autonomie psychologique et spirituelle.

L'homme se réalise au point d'équilibre entre la tête et le coeur
En fin de compte, tout ce travail de dés-identification, de dissolution de l’ego et de libération des conditionnements pourrait se résumer à cette simple question, à chaque instant : qui colonise notre tête ? Et finalement, qu’est-ce que l’ego, sinon une « tête de mule » obstinée, refusant de se laisser transformer ? Et si nous prenions plutôt la vie à la légère, un peu comme cette fameuse « tête au choco », moelleuse et délicieusement imparfaite, prête à fondre face à la chaleur d’une conscience éveillée ? Il faut parfois accepter de faire une « tête au carré » à nos certitudes pour laisser entrer un souffle de renouveau.
Alors, à tous ceux qui ont la « tête dans les nuages » ou la « tête sur les épaules », une chose est sûre : la vraie sagesse, ce n’est pas d’avoir la grosse tête, mais bien de s’ouvrir à une perspective plus vaste. Car au bout du chemin, on réalise que l’enjeu capital n’a jamais été de devenir quelqu’un, mais simplement de retrouver la tête haute, allégée du poids des illusions.
Ce grand rendez-vous avec nous-mêmes, celui qu'il est impossible de rater, a lieu au carrefour entre la tête et le coeur. Ni dans le rationalisme pur, ni chez les illuminés du New Age. Mais à l'intersection de la croix entre les mondes spirituel et temporel. C'est à cet endroit que se tient le creuset alchimique où nous sommes gl-OR-ifiés.
Isabelle A. Bourgeois
Merci pour ce texte. Quel bullsh... Plus d'art nègre, plus de négritude, plus de parler petit nègre... non plus.
Des imbécilités semblables partout.
En Australie, des "acknowledgements" se trouvent maintenant , sur la carte du menu du restaurant, sur une plaque à l'entrée du musée, sur le guide de Lonely Planet, etc. Même genre de bullsh... Que reconnaît-on donc? Les Aborigènes? Vraiment? Ce sont des mots, du vent. Les Aborigènes ne possèdent rien de tout cela, leur culture est déconsidérée depuis toujours, réduite à la portion congrue. Les "anthropologues" trouvent maintenant des fonds pour analyser le LGBT plusisme parmi eux.... A en avoir la nausée.
Et effectivement, on se sent assez "lonely"... Merci pour ces textes vivifiants.
De la tête de nègre à la tête choco, en passant par la tête d’homme de couleur, jusqu’à la tête dans les étoiles. Merci pour ce beau texte, bien inspiré.
Extraordinaire….TOUT 🙏🩵 👍💚
J’adore aussi les têtes de …nègre ou 🙃 choco , mais super ce pompiste avec les blancs battus !! ?? Une vraie Ouverture d’Esprit !🍀
Merciii !!!