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L’art du texte contre l’artillerie morale

Je suis heureuse de vous présenter une nouvelle chronique initiée par une jeune personnalité talentueuse: Elodie Perrelet, créatrice du blog littéraire La Vie Ardente. Élodie Perrelet est une spécialiste de littérature française et comparée, passionnée par les textes classiques autant que par leur résonance contemporaine. Enseignante à Genève et chercheuse, elle s’attache à révéler la vitalité des œuvres en les replaçant dans leur contexte historique tout en interrogeant leur lecture à travers nos sensibilités actuelles. Elle cultive un amour profond pour la littérature, qu’elle considère comme un espace de liberté inaliénable. Pour elle, les textes anciens ne sont pas des pièces de musée à juger avec les lunettes de nos idéologies actuelles, mais des œuvres vivantes qui parlent encore à notre sensibilité, à nos contradictions et à nos désirs.


Élodie Perrelet défend avec passion la beauté et l’irrévérence de ces écritures face aux hashtags bien-pensants et aux grilles de lecture réductrices qui voudraient condamner Valmont ou Merteuil au nom d'une antimasculinité toxique. Sa conviction est claire: la littérature n’est pas un tribunal, mais une expérience esthétique et humaine qui nous apprend à penser au-delà des slogans et des caricatures.


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«Il fut un temps — douze ans à peine, autant dire hier — où mes élèves se tordaient de rire devant Les Liaisons dangereuses. Valmont y paraissait irrésistible de cynisme, Merteuil d’une perversité exquise, et cette correspondance libertine du XVIIIe siècle avait l’air d’avoir été écrite, non pour un siècle poudré et perruqué, mais pour eux, adolescents de 2013, qui savouraient la cruauté comme une sucrerie interdite.


Aujourd’hui, même texte, même Valmont, même Merteuil. Mais autres élèves. À peine la lettre CXLVIII lue, j’entends déjà tomber le couperet: «pervers narcissique», «manipulation toxique», «masculinité prédatrice» — bref, toute l’artillerie psy et militante. Laclos n’est plus un auteur, c’est une affaire judiciaire. Ses personnages, naguère réjouissants d’irrévérence, deviennent accusés à la barre du tribunal moral contemporain.


Qu’importe que nous soyons au XVIIIe siècle, qu’importe que le libertinage soit une esthétique et non un diagnostic de DSM-5 : l’anachronisme est roi. Et malheur à qui oserait rappeler que lire Les Liaisons dangereuses, ce n’est pas souscrire à leur programme politique, mais goûter à une littérature où la phrase claque comme un fouet, et où l’humour noir se boit à la coupe, avant l’arsenic final.


Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos
Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos

Nous voici donc condamnés, au nom de la vertu moderne, à lire Laclos comme on lirait un rapport de la Cour des comptes. Le libertinage s’évapore, l’impertinence se censure, l’ironie se bâillonne. Et l’on appelle cela le progrès. J’appelle ça, moi, la régression — celle qui nous prive de cette chose infiniment précieuse : une voix personnelle, libre, insolente, capable d’aller chercher dans un texte ce qu’il a de plus subversif, au lieu de l’enterrer sous les hashtags de la bien-pensance.


Car enfin : si Valmont et Merteuil avaient vécu en 2025, non seulement ils n’auraient jamais pu écrire une lettre sans qu’Instagram ne les shadowbanne, mais ils auraient fini au tribunal correctionnel pour «atteinte aux bonnes mœurs». Autant dire que nous aurions perdu un chef-d’œuvre. Et peut-être, à force de vouloir protéger nos élèves de toute friction, de toute ambiguïté, de toute obscurité, nous les privons du plus beau: le plaisir du texte, cette jubilation de se frotter à ce qui choque, dérange, fait rire — et penser»


Élodie Perrelet - Directrice de La Vie Ardente Écrire à Elodie: elodieperrelet@icloud.com

1 commentaire


suzette Sandoz
06 oct.

Excellent texte. Merci

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