top of page

Confessions de Celestis, le sapin en quête d’illumination

Je suis né un matin de brume, tout en haut de la montagne. On dit que les arbres naissent du sol, mais moi je suis né du souffle du vent, poussé contre une pierre, arrosé par les nuages qui passaient trop vite pour me remarquer. J’ai surgi d’une fissure minuscule, une éclaboussure verte dans le royaume minéral. Et presque aussitôt, la montagne m’a parlé: «Tiens bon, petit. Ici tout est rude, mais tout est vrai.» Alors j’ai tenu bon.

"Le grand sapin" par Stéphane Langeron
"Le grand sapin" par Stéphane Langeron

Les saisons m’ont façonné comme une vieille marmite glaciaire. L’hiver, ce tyran magnifique, me courbait sous la neige, me glaçait jusqu’aux racines. J’entendais le cri des roches qui éclataient sous le gel tandis que, moi, je serrais mes aiguilles comme on serre les dents. Parfois je pensais ne pas voir le printemps. Mais chaque fois, une goutte de soleil tombait sur moi, comme une bénédiction retrouvée.


L’été, ce n’était pas mieux. La canicule brûlait, la terre devenait rugueuse comme une vieille peau asséchée. Mon tronc craquait sous la soif. Et pourtant, je résistais — vertical, opiniâtre, en dialogue permanent avec le ciel.


Les années passaient comme des caravanes silencieuses. Et, de temps en temps, un humain apparaissait. Un randonneur fatigué, qui s’asseyait à mon ombre pour se faire un «jambon-beurre» ou croquer une pomme. Je me penchais un peu pour le protéger du soleil. Il ne me voyait pas vraiment, mais je savourais la joie simple d’être utile, d’être encore un abri. J’aimais sentir leurs confidences murmurées au vent, leurs respirations haletantes, leurs rêves suspendus à mes branches.


Et puis il y avait le cerf, majestueux et souverain. Chaque automne, il venait frotter ses bois contre mon écorce, non pas pour me blesser mais pour marquer son royaume, pour me rappeler que nous partagions le même territoire, la même destinée d’êtres debout. Son souffle chaud me réconfortait pendant les nuits les plus longues. J’étais un arbre, certes, mais j’avais des compagnons. Malgré cela, la solitude demeurait ma grande maîtresse. Des mois entiers sans mouvement, sans voix, sans regard humain. Juste le silence épais comme une couverture. Un silence qui m’apprenait la patience, la lenteur, la dignité d’exister sans témoin.


J’avais oublié à quel point les Hommes pouvaient être bruyants, jusqu’au jour où les tronçonneuses sont arrivées. Leur vrombissement était un hurlement métallique qui déchirait la forêt. J’ai vu tomber mes frères, mes sœurs, ceux qui avaient grandi avec moi, bercés par les mêmes vents, sculptés par les mêmes hivers. Le sol tremblait sous leur chute. Leur destin? Finir en panneaux anonymes pour le bâtiment au pire, en lambris muraux dans des chalets de montagne, au mieux. Une vie entière d’élévation pour finir désossés en planches sans mémoire…


Alors j’ai tremblé aussi. Pas par peur (un arbre ne craint pas vraiment la mort) mais par désir. Oui, un désir immense: celui d’un autre destin. Parce que, au fond de ma sève, j’ai une âme d’enfant. Je rêve, comme les humains, de réalisation. Je rêve, comme eux, d’illumination.


Mais comment un sapin peut-il connaître l’illumination?

Mais oui, bien sûr….en devenant sapin de Noël !


Ah, ce rêve fou… être choisi, transporté, installé dans une maison chaleureuse. Se tenir droit devant une cheminée, baigné de lumière, honoré de mille décorations. Devenir le centre d’un rituel ancien, plus ancien que le christianisme lui-même. Car je le sais, moi qui écoute les légendes murmurées par le vent: nous, sapins, portons la symbolique de la vie éternelle. Notre feuillage persiste quand tout meurt autour. Nous sommes la promesse du renouveau, la preuve que la vie n’abandonne jamais.


L’Arbre de Noël… l’Arbre de la Vie. J’aimerais tant en être un. Pas par vanité (un arbre ne connaît pas la vanité) mais pour offrir ce que je suis: une présence verticale, un hymne silencieux à la lumière dans l’obscurité.


J’imagine les décorations qu’on suspendrait à mes branches: les pommes rouges, rappel du péché originel, les guirlandes lumineuses célébrant la naissance du Christ, les étoiles évoquant celles que suivent encore les pèlerins du cœur. J’imagine les doigts des enfants, hésitants et joyeux, posant une boule ici, une autre là.

J’imagine les humains se rassemblant autour de moi, respirant mon parfum résineux, plongés dans un silence tendre — ce silence qui ressemble tant à celui que j’ai connu dans la montagne, mais enrichi de chaleur et de gratitude humaine.


Et je me prends à rêver d’être admiré. Oui, admiré. Non pas comme un objet décoratif, mais comme un roi de la forêt. Comme un être qui a traversé tempêtes, canicules, hivers interminables, pour un jour briller enfin — non pas par orgueil, mais pour offrir une étincelle de sens, de beauté et de verticalité.


J’aimerais être ce sapin-là; celui qui apaise, qui réunit. Celui qui rappelle aux humains qu’ils ne sont jamais plus grands que lorsqu’ils se rassemblent autour d’une lumière.


Si, par le regard de gratitude et d’émerveillement posé sur moi, je devenais plus qu’un simple arbre? Si ce regard d’amour, profond et sincère, me préparait à revenir un jour dans un autre règne, animal ou humain, porté, élevé, promu par la tendresse des Hommes?


Peut-être que c’est cela, le véritable destin d’un sapin de Noël.

Être illuminé pour mieux renaître.


Celestis



Note d'Isabelle Alexandrine Bourgeois: pour mon plus grand bonheur, dans une jardinerie locale, Celestis m’a choisie pour devenir le roi de mon salon, au pied de ma cheminée. Depuis le 1er décembre, je le contemple tous les jours. Il revitalise en moi ce regard de petite fille émerveillée. Je suis heureuse de l’aider à réaliser son rêve et sa plus haute destinée. Mon beau sapin, roi de ma forêt, que j'aime ta parure...

Crédit photo: Isabelle A. Bourgeois
Crédit photo: Isabelle A. Bourgeois

Commentaires


bottom of page