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Padre Pio: ce que les Saints ont à nous dire aujourd’hui

Dernière mise à jour : il y a 3 heures

Ligne de faille est une chronique exclusive de Marion St Michel¹, psychologue clinicienne, analyste politique et auteure de «Gouvernance perverse: la décoder, s’en libérer» aux Editions Marco Pietteur.


«Chaque jour est un jour de plus pour aimer, un jour de plus pour rêver, un jour de plus pour vivre». Saint Padre Pio


Je rentre de quelques jours sur les traces du Saint Italien Padre Pio. Né dans un petit village du sud de l’Italie (Pietrelcina) dans un milieu modeste mais très pieux, le jeune Francesco Forgione, dès l’âge de cinq ans, parle avec son ange gardien et reçoit des conseils de la Vierge Marie. Pensant qu’il en est de même pour tout le monde, il ne découvrira qu’avec son directeur spirituel le caractère assez exceptionnel de ces conversations !

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Entré au couvent des Capucins à l’âge de 15 ans, son ardeur et sa profonde piété sont remarquées par ses frères novices et surtout par les Pères. A 23 ans, il reçoit les stigmates² , et prie Jésus de bien vouloir les lui retirer parce qu’il ne s’en sent pas digne. Les stigmates vont disparaître, et réapparaîtront plus tard dans sa vie pour ne plus le quitter, sauf quelques heures avant sa mort, à l’âge de 80 ans. Connu pour des dons mystiques peu courants (les stigmates bien sûr, mais aussi le don de bilocation³, la capacité à lire les âmes⁴, et le miracle d’avoir rendu la vue à une jeune fille qui n’avait plus de rétine, tel Jésus…), il attira très tôt les foules par ses messes d’une ferveur exceptionnelle qui duraient parfois plus de deux heures (il disait «il est plus facile à la terre d’exister sans le soleil que sans le saint sacrifice de la messe»), et par la puissance de ses confessions (il confessait jusqu’à dix heures par jour…). Il fonda également un hôpital pour accueillir les malades et les pauvres, qui aujourd’hui encore propose des soins à la pointe de la science, tout en prenant en compte la dimension spirituelle de la guérison⁵.


« La paix de l’Esprit peut être maintenue même au milieu de toutes les tempêtes de la vie ». Saint Padre Pio


Les magnifiques mosaïques de la nouvelle église de San Giovanni Rotondo
Les magnifiques mosaïques de la nouvelle église de San Giovanni Rotondo

Mais la question qui s’imposait à moi tandis que j’entrais dans la proximité de ce saint homme était la suivante: la sainteté a-t-elle encore aujourd’hui quelque chose à nous dire et si oui quoi? Cette question résonnait en moi d’autant plus fortement que j’étais partie en pèlerinage avec un petit livre de Georges Bernanos intitulé: «La liberté : pour quoi faire?». Écrit en 1947 au sortir de la Seconde Guerre mondiale et un an avant la mort de l’écrivain, par ailleurs contemporain de Padre Pio (le saint homme est né en mai 1887 et l’écrivain en mars 1888), ce petit livre décrit avec une prescience à peine croyable les risques d’effondrement que feraient courir à l’Occident le règne dominant des machines et la déspiritualisation en cours. Et ce qu’il décrit est à mon sens exactement ce à quoi nous sommes collectivement confrontés: la perte de nos libertés fondamentales à cause d’un changement d’anthropologie qui fait passer l’homme occidental du statut d’être central et sacré de par sa nature divine, à celui peu enviable d’objet/machine interchangeable, et à l’obsolescence désormais programmée.


Nouvelle église consacrée au Padre Pio à San Giovanni Rotondo (Pouilles)
Nouvelle église consacrée au Padre Pio à San Giovanni Rotondo (Pouilles)

D’où ces questions qui me sont venues et que je partage avec vous: qu’est-ce que la liberté humaine et comment la sainteté l’éclaire-t-elle?


Le Saint est par définition celui qui donne sa vie; il la donne à ses frères et sœurs en Dieu, il la donne avant tout à Dieu lui-même et le plus souvent parce qu’il a fait l’expérience de cet amour inconditionnel et incommensurable de Dieu, pour lui et pour chacun. La question de la liberté pour le Saint ne semble pas se poser longtemps. Son acte le plus libre est celui de se donner à Dieu, acte à partir duquel la question du choix et de la décision cesse de le tourmenter. Le Saint est cet homme ou cette femme pour qui, comme le disait Saint Jean-Paul II, «la liberté, c’est avoir le droit, la force et la possibilité de faire ce que l’on doit». Ce don initial du Saint est aussi proposé à chaque chrétien, et même à chaque homme sur cette terre. C’est sans doute à ce choix primordial et dernier que le Christ nous invite quand il dit «Je suis le chemin, la vérité et la vie⁶». C’est aussi le sens de la phrase reprise dans les quatre Évangiles sous des formes différentes: «Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’évangile la sauvera⁷ ». Qui veut vivre pleinement, vivre en vérité, sait donc Qui il doit suivre dans son exemple comme dans ses enseignements.


Pour beaucoup de nos contemporains, que la liberté la plus totale puisse naître d’un abandon de notre libre arbitre paraît totalement contre-intuitif. Pourtant, si nous cherchons d’autres références pour penser ce dilemme, nous trouverons dans la psychologie notamment jungienne quelques éclairages utiles. Car en effet, quand nous décidons seuls de notre vie à partir de notre libre arbitre, qu’est-ce qui décide en nous? Dans cette société individualiste et matérialiste qui a exfiltré la transcendance, notre cher «libre arbitre» consiste le plus souvent à faire nos choix sur la base de notre égo, c’est-à-dire de notre Moi le plus défensif, le plus infantile, nous laissant ainsi dans la confusion, l’inquiétude, voire l’angoisse. Quel sera en effet la clé de voûte de ce choix si aucun principe supérieur ne vient l’éclairer? Comment ne pas rester prisonniers de nos émotions le plus souvent mal transformées, particulièrement quand toutes sortes de peurs sont agitées par des puissances extérieures pour nous conduire là où elles veulent que nous allions? À quel Saint se vouer justement, comme le dit l’adage, tant que nous n’avons pas intériorisé en nous cette instance qui par-dessus notre humaine condition, nous relie à la sagesse et à l’Amour?


On voit bien dans ce simple exemple combien la transcendance et la spiritualité sont les ennemis jurés de tous les totalitarismes, puisqu’ils portent l’homme au-dessus de sa condition, à voir le bien commun et l’intérêt collectif, à aimer son prochain «comme lui-même», et donc à ne plus agir comme un animal apeuré, isolé, perdu.

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Une autre raison pour laquelle elles sont toutes deux détestées par le matérialisme au pouvoir, c’est que toute spiritualité et particulièrement la spiritualité chrétienne replace l’homme à sa juste place, au sommet de la Création certes, vis-à-vis de laquelle il a donc une responsabilité d’amour et de protection, mais néanmoins à une place limitée par le fait même qu’il est lui-même créature et non Créateur. Sa liberté est totale en Dieu, mais limitée par Dieu lui-même à ce qui est compatible avec l’intelligence de la Création. Il n’est ici plus question pour l’homme de jouer aux apprentis sorciers avec les fondements même de la vie, qu’il s’agisse d’expériences sur l’ADN humain, de chimérisations entre l’homme et l’animal, de passage d’un sexe à l’autre, et autres folies de ceux qui refusent toutes les limites qui signent la santé mentale et spirituelle.


«Il n’y pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime» (Jean 15, 9-17): qu’est devenue la notion de Bien commun ?


Dans notre univers ou l’individualisme est prôné comme le meilleur chemin vers la réalisation de soi (mais pas du Soi ), le don total du Saint, son altruisme, sa façon étrange de faire passer l’autre toujours en premier, perturbe et dérange. À l’extrême, on le prendra pour un fou, un «illuminé», ce qu’il est d’ailleurs très probablement, illuminé de l’intérieur par la lumière de l’Esprit.

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Pourtant, les Saints, et avant eux les moines et ceux qui vivent dans l’intimité avec Dieu, ont pour la plupart des regards lumineux qui reflètent la beauté dans laquelle ils vivent quotidiennement. Leurs conditions matérielles sont en général très simples: ils ne possèdent rien, font vœu de pauvreté, d’obéissance et de chasteté.


Pas très folichon comme programme nous dira notre société qui hait le silence et la vie intérieure. Leur seule délectation, c’est servir. Leur seul souci: le bien commun. Quel est cette notion étrange totalement oubliée depuis une ou deux décennies dans les valeurs de notre société (alors que tant d’hommes et de femmes s’y consacrent encore, car ils y trouvent leur joie). Faire le bien. Se mettre au service du bien commun.


Dans la philosophie chrétienne, le bien c’est la vie, et le mal c’est la mort; il ne s’agit donc pas là de morale mais bien de conditions préalables à l’existence. «J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et tes semailles» . Or notre société nous répète à l’envi depuis au moins 60 ans que «tout est relatif», particulièrement le bien et le mal; ce qui nous a menés à cette société mortifère dans laquelle désormais nous nous débattons, et pour laquelle de fait la vie et la mort sont devenues des notions relatives, aux frontières mal tracées, où il devient possible «d’aider à mourir» quand on devrait aider à vivre, où l’on envisage donc froidement de déterminer «à la place de Dieu» quand la vie mérite d’être respectée et quand elle ne le mérite plus.


Ce totalitarisme qui entend décider à la place même de celui qui vit encore, voudrait nous faire prendre des vessies pour des lanternes, jouant avec les mots de façon perverse et appelant liberté ce qui ressort de la soumission. Comment percer à jour ce subterfuge, cette inversion voulue des valeurs les plus précieuses que notre humanité ait reçues, sans nous relier à ce précieux témoignage des Saints: ce qui rend l’homme heureux, n’est-ce pas sa consécration à son prochain, à sa famille s’il est parent, à son village s’il est habitant, au bien commun, s’il se trouve avoir des responsabilités sociales ou publiques? C’est une chose qu’on ne peut connaître qu’en l’expérimentant, et qu’il est essentiel d’apprendre à nos enfants. Ceux qui courent après le pouvoir et l’argent seraient bien à plaindre, si nous en avions le temps…


Sommes-nous passés de la puissance divine au pouvoir inhumain?

De tout temps, croyants et non croyants ont toujours été fascinés par les pouvoirs «supra naturels» des Saints, à commencer par les miracles réalisés par Jésus. Cette fascination existe d’ailleurs dans la plupart des civilisations et des différentes spiritualités, témoignant avant tout il me semble du manque de confiance de l’être humain dans sa capacité à développer sa propre puissance. Jésus lui-même se méfiait de cette fascination qui attirait à lui les foules par le besoin d’une guérison extérieure et reçue de lui; d’où sa remarque récurrente après chacune des guérisons opérées: « ta foi t’a sauvé ».


Jésus, et les Saints après lui, renvoie l’homme à sa relation directe avec Dieu, d’où il tirera des pouvoirs qui ne sont pas l’apanage de quelques-uns, mais qui sont proposés comme les résultats d’une relation intime et ardente avec Dieu. Jésus, et les Saints après lui, invite l’homme au développement de sa puissance intérieure, reçue de la nature divine de sa création. Les Saints ne sont donc pas exceptionnels par leurs pouvoirs nés de la puissance divine, mais par l’intensité de leur relation au divin. Nous y sommes tous appelés, mais peu y répondront, pour de nombreuses raisons.


Pour autant, les Saints ne témoignent-ils pas du fait que la puissance véritable, les dons divers, dont celui précieux de la guérison d’autrui et de soi-même, existent potentiellement en chaque homme ? Et qu’il est donc inutile voire malsain de se soumettre à quelque pouvoir extérieur, qu’il soit humain ou pire encore transhumain? Le désir de pouvoir humain naît toujours de l’égo, et ceux qui le recherchent sont en général dirigés par cet ego qui ne peut voir plus loin que son propre intérêt. Comme le proposait Platon, il faudrait donner le pouvoir à ceux qui n’en veulent pas, les sages et les philosophes, voire les saints bien sûr, et ceux qui sont mus dans l’existence par le désir du bien commun. Nous en sommes loin.



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Pour illustrer notre actuel dilemme, donnons la parole à Bernanos dans cet ouvrage cité plus haut et qui date rappelons-le de près de 80 ans: «Le seul problème qui se pose aujourd’hui, parce que de sa solution dépend le sort de l’humanité, n’est pas un problème de régime politique ou économique- démocratie ou dictature, capitalisme ou communisme-, c’est un problème de civilisation. On dit volontiers cette civilisation inhumaine. Qu’est-ce qu’une civilisation inhumaine? C’est une civilisation basée sur une fausse ou incomplète définition de l’homme. Si cette civilisation est inhumaine, vous ne la rendrez pas humaine, c’est l’homme qu’elle rendra inhumain. Cette civilisation est-elle faite pour l’homme, ou prétend-elle faire l’homme pour elle, à son image et à sa ressemblance, usurpant ainsi, grâce aux prodigieuses ressources de sa technique, la puissance même de Dieu. Voilà ce qu’il importe de savoir».


Si nous sommes d’accord pour faire le constat que notre civilisation est devenue inhumaine parce elle est basée sur une conception fausse de l’homme - productiviste, matérialiste, consumériste- et incomplète, - parce que niant sa dimension spirituelle essentielle, alors nous voyons un chemin émerger devant nous. C’est à une véritable refondation humaniste et spirituelle que nous sommes appelés, en nous ancrant dans la sagesse des anciens, pour bâtir enfin un monde de paix, d’amour et de justice. C’est peut-être là que le témoignage des Saints prend tout son sens.


« Fais en sorte que le triste spectacle de l’injustice humaine ne trouble pas ton âme ; elle aussi a sa valeur dans l’économie des choses. C’est sur elle que tu verras un jour s’élever le triomphe infaillible de la Justice divine ». Saint Padre Pio.

  1. Psychologue clinicienne et analyste politique, auteure de «Gouvernance perverse : la décoder, s’en libérer» aux Editions Marco Pietteur, mars 2025.

  2. Les stigmates sont les traces laissées par la Crucifixion sur le corps de Jésus, et qui apparaissent spontanément chez de rares saints au cours de leur vie consacrée. Le premier à les avoir manifesté fut St François d’Assise, auquel se référait par ailleurs Padre Pio.

  3. La bilocation est la capacité pour un être d’apparaître en deux lieux à la fois. En l’occurrence, Padre Pio apparut régulièrement à des personnes en souffrance alors même qu’on le savait ailleurs.

  4. Padre Pio faisait régulièrement lui-même la liste des péchés des pèlerins qui venaient se confesser, ou la complétait en cas d’omissions.

  5. «Casa sollievo della sofferenza», «la maison du soulagement de la souffrance», à San Giovanni di Rotondo. Pour les contacter : www.operapadrepio.it


Note de la rédaction: Marion Saint Michel viendra donner une conférence (vendredi 16 janvier 2026) et un atelier (dimanche 18 janvier 2026) à Aubonne. Conférence: Gouvernance perverse: état des lieux et clés d’action positive Atelier: «Clés de renforcement moral face à l’adversité des temps» Soirée privée avec Marion Saint Michel le samedi 17 janvier réservée aux adhérents à la formule "Le cercle des amis d'Isabelle"

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