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Q, le plus grand rébus politique de tous les temps

À l’automne 2017, sur les territoires numériques dédiés à la liberté débridée de 4chan, surgit un mystérieux personnage signé simplement «Q», revendiquant un accès privilégié à des informations ultra-classifiées au plus haut niveau de l’administration américaine. Ce tout petit symbole, une lettre, allait donner naissance à l’un des mouvements de réinformation, de suspicion et de croyances collectives les plus diffusés du XXIᵉ siècle. Dans sa genèse, l’Opération Q se présente comme une lutte invisible entre patriotes (défenseur d’une souveraineté nationale menacée) et mondialistes (élites transnationales), entre vérités crues et récits officiels censurés, où chaque message crypté devient une énigme à résoudre comme un rébus diabolique. Guerre de l’information ou guerre des consciences?


Ce récit n’est pas seulement un phénomène Internet: il est devenu une part du débat public, un objet de fascination et d’inquiétude, oscillant entre mouvement de résistance citoyenne pour certains et théorie du complot déstructurante pour d’autres.


Il faut le reconnaître, la communication Q est terriblement séduisante: elle ne transmet pas une information, elle propose des énigmes, réveillant notre goût ancestral pour l’initiation et les secrets réservés aux initiés. En invitant chacun à décoder, elle transforme le citoyen en enquêteur et le message en rituel, où l’attente du dévoilement devient parfois plus puissante que la vérité elle-même. Entre vérité profonde et flou informationnel, l'Opération Q est une peau de banane géante sous le pied de tout journaliste. Prudence.


Un éveil contre l’«État profond» ?

Pour les partisans de l’Opération Q, l’affaire n’est pas une illusion, mais une guerre silencieuse dans laquelle l’information est l’arme suprême. Parmi les voix qui s’en font l’écho, certains commentateurs politiques indépendants, bloggers et analystes dissidents affirment que Q a anticipé des événements politiques majeurs ou révélé des éléments cachés des coulisses du pouvoir. Dans ce cadre, Paul Furber, journaliste et ingénieur informatique sud-africain, occupe une place particulière: il fut l’un des premiers relais des messages de Q et raconte dans son livre «Q – La plus grande opération de réinformation de l’histoire» comment il a été témoin direct de ce qu’il présente comme une confrontation invisible entre les défenseurs d’un ordre menacé et les vigies d’un pouvoir centralisé.


Dans son récit, les messages de Q, loin d’être des élucubrations naïves, seraient des jalons d’une stratégie réfléchie pour contrer une propagande institutionnelle trop souvent dominée par des intérêts partisans ou globalistes. Chaque message codé n’est donc pas une affirmation brute, mais une piste, un symbole, une instruction implicite pour que chaque citoyen, devenu enquêteur, participe à la reconstruction d’une vérité fragmentée. Pour ces «croyants», la qualité cryptique des messages n’est pas un défaut, mais une protection: la révélation complète ne peut se faire qu’au moment opportun, et seuls les plus perspicaces sauront lire entre les lignes.


Certains défenseurs de Q vont jusqu’à suggérer que ce mouvement a permis de faire émerger des questionnements légitimes autour de la transparence gouvernementale, de la manipulation médiatique et de l’ingérence des grandes plateformes numériques dans la circulation de l’information. Ce cadre interprétatif voit l’Opération Q moins comme une théorie isolée que comme une rébellion cognitive contre des récits dominants.


Dans cet univers, la figure du «commandant en chef» n’est pas une métaphore floue: c’est très souvent Donald Trump, présenté comme le leader visible d’une guerre invisible. Le président a inondé son fil d'actualité Truth Social d'une série d'images sur le thème de QAnon, envoyant un message crypté selon lequel le moment d'agir est arrivé. Une image exhorte les partisans à «se souvenir de leur serment». Une autre montre Trump lui-même avec les mots «Tic Tac», laissant entendre que le compte à rebours est presque terminé. Un troisième déclare «Il est temps d’anéantir l’État profond», avec «Fais-le Q» écrit sur son épaule. Il a terminé avec une image de V pour Vendetta disant «Rien ne peut arrêter ce qui arrive», montrée sans le masque.


Un autre exemple célèbre est le recours à la formule « Trust the plan» (Fais confiance au plan) ou «Follow the White Rabbit», qui invite les lecteurs à embrasser une quête de sens plutôt qu’à accepter une information toute faite. Pour les partisans, ces signes ne sont pas accessoires: ils constituent la trame d’un récit complexe dans lequel le lecteur devient acteur, enquêteur et révélateur. Sur un réseau social consacré au décryptage Q, on peut lire: «Peu importe ce que vous pensez de toute l’affaire Q, Trump publie des mèmes Q et utilise des phrases Q tout le temps. Les gens peuvent rejeter cela autant qu’ils le souhaitent, mais Trump s’appuie sur le truc Q. Que vous croyiez ou non à ces choses, Trump le reconnaît, donc ce n’est pas rien.»

Une construction sans preuves concrètes

Du côté des chercheurs, des journalistes mainstream et des institutions officielles, l’Opération Q est généralement associée à QAnon, terme qui désigne non seulement l’origine anonyme des messages, mais l’ensemble des croyances qui en ont découlé. Selon l’Encyclopædia Britannica et des analyses détaillées, les affirmations initiales de Q – selon lesquelles des milliers de politiciens et de dirigeants seraient arrêtés ou «neutralisés» dans une purge des élites – ne se sont jamais réalisées et restent sans fondement vérifiable. QAnon a été décrit par de nombreux observateurs comme une théorie du complot moderne, dont les messages sont cryptiques et difficilement vérifiables.


Des prédictions spécifiques, comme l’arrestation de personnalités politiques de premier plan ou une première réélection triomphante de Donald Trump suivie de purges profondes au sein de l’État profond, ne se sont pas concrétisées. Quand les événements n’ont pas suivi le calendrier prédit par les messages, les adeptes de Q ont souvent interprété ces échecs comme des éléments d’un plan plus vaste ou comme de la désinformation volontaire, renforçant ainsi une structure auto-entretenue d’interprétation qui trouve en elle-même les réponses à ses contradictions. Il est vrai que nous avons été nombreux à espérer la confirmation de toutes les informations bombardées sur les réseaux sociaux sur les présumées arrestations de pédophiles au plus haut niveau, de même que le démantèlement de réseaux pédo-satanistes. À ce jour, il faut admettre que nous n'avons pas encore assisté officiellement à la libération de hordes d'enfants martyrs extraits de souterrains dans lesquels Q avait annoncé qu'ils étaient retenus prisonniers.


Des enquêtes qui se présentent comme "sérieuses" ont remis en question l’identité même de Q: des analyses linguistiques et des travaux d’investigation suggèrent que les messages auraient pu être produits par plusieurs individus, souvent des acteurs liés à des forums en ligne plus qu’à une source gouvernementale authentique, et non par un fonctionnaire anonyme titulaire du fameux Q clearance qu’ils revendiquaient.

Piège ou illusion collective?

Une question revient systématiquement dans le débat: comment se fait-il qu’un informateur anonyme prétendument détenteur d’informations ultra-sensibles puisse publier pendant des années sans jamais être identifié, arrêté ou discrédité par des autorités qui ont pourtant poursuivi Snowden, Manning ou emprisonné Julian Assange?


La réponse, pour les sceptiques, est simple: il n’a jamais existé en tant que source authentique de renseignements secrets. Q n’était ni agent infiltré, ni fonctionnaire à très haut accès, mais un pseudonyme numérique, probablement géré par des opérateurs de forums, parfois même par des figures comme Jim Watkins ou son fils Ron Watkins, propriétaires de 4chan/8kun, le terrain de prédilection des «drops».


Dans cette lecture, il n’a jamais été nécessaire de traquer quelqu’un à arrêter, parce que personne ne s’est présenté physiquement comme source d’information confidentielle au nom de Q. Aucun réseau d’«État profond» n’a reconnu un agent interne ayant divulgué des secrets; aucun document authentifié n’a été produit. Par contraste, Snowden, Manning ou Assange ont livré des archives réelles — d’où leur arrestation ou leur mise en accusation, car leurs actions avaient produit des preuves tangibles et vérifiables.


Qui est derrière Monsieur Q? Selon les recherches synthétisées par deux chercheurs franco-suisse, Jean-Baptiste Camps et Florian Cafiero, qui ont exploité des méthodes de linguistique quantitative, d’intelligence artificielle et de stylométrie pour analyser les fameux «Q drops», ces messages cryptiques qui ont lancé le mouvement QAnon. Leur conclusion: l’identité du mystérieux «Q» ne renvoie pas à une figure d’État profond ni à Donald Trump, comme le croyaient certains partisans, mais aux premiers messages attribués au développeur sud-africain, Paul Furber lui-même! Le style des textes indiquerait qu’une seconde main, probablement celle de Ron Watkins, ancien administrateur du forum 8kun, aurait ensuite pris le relais dans la diffusion du mouvement.


Ce que Q a changé (ou pas) sur le terrain

Si l’on examine ce que l’on appelle communément les «prédictions de Q», on constate que la plupart d’entre elles ne se sont pas matérialisées comme annoncées. Des arrestations spectaculaires des élites politiques aux révélations de réseaux secrets dominants, rien de ce type ne s’est produit de manière avérée, en tout cas pas devant les objectifs des médias. Après l’élection de 2020 et la perte de Trump, les adeptes ont interprété de nombreuses échéances manquées comme des réorientations du plan ou des tests de foi, transformant ainsi plusieurs prédictions en mythes auto-entretenus plutôt qu’en faits concrets.


Sur le plan politique, on peut constater que QAnon a eu un impact, mais plutôt en surface que dans les structures de pouvoir. Des candidats qui ont flirté avec des idées associées à la mouvance ont parfois été élus, et certaines campagnes politiques ont utilisé des rhétoriques influencées par l’écho de ces communautés. Mais aucune transformation institutionnelle majeure — changement de constitution, arrestations massives, démantèlement de réseaux occultes — n’est venue confirmer les scénarios apocalyptiques annoncés par les drops.


Pour les sceptiques, cette approche n’est rien de plus qu’un dispositif rhétorique habile pour maintenir l’adhésion en l’absence de preuves tangibles: lorsqu’une prédiction échoue, elle est expliquée non comme une erreur, mais comme une étape nécessaire d’un plan plus vaste dont la structure reste toujours obscure.


En revanche, le mouvement a bel et bien façonné le paysage de l’information: il a rendu visible une large communauté qui se sent exclue des récits dominants et qui préfère interpréter toute information via un prisme sceptique, voire hostile aux sources établies. Cette influence se manifeste dans la méfiance généralisée envers les élites, la défiance vis-à-vis de la science, de la presse traditionnelle et des institutions, et dans la création de bulles narratives parallèles qui fragmentent le débat public. Peut-être que l’on pourrait entrevoir ce phénomène comme un coup de pouce donné au «réveil collectif»?


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Une lecture symbolique du réel

Une des dimensions les plus frappantes de l’Opération Q est son attrait presque rituel pour l’ésotérisme et les signes. Les injonctions mystérieuses ne sont pas des communiqués linéaires: souvent composés de chiffres, de références culturelles, de fragments de phrases, ils incitent leurs lecteurs à adopter une logique de décodage. Dans ce cadre, chaque élément est supposé contenir un sens caché — une stratégie narrative qui fait écho à des pratiques quasi initiatiques. Il faut reconnaître que la méthode est envoûtante pour les chercheurs de vérité. Voici l'un des message énigmatiques publié en 2022 sur le site 4chan avant qu'il ne soit fermé en avril dernier en raison de ce qui s’apparente à une cyberattaque. Qu'est-ce qui est codé dans votre ADN?

Qui l'a mis là?

Pourquoi?

L’humanité est réprimée.

Nous ne serons plus réprimés.

L'information est une connaissance.

La connaissance est un pouvoir.

L'information est un pouvoir.

Comment protégez-vous votre ADN?

Il y a une guerre pour votre ADN.

Protégez votre ADN.

Ascension.

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Avertissement salutaire ou opération de captation des esprits?

Alors que l’Opération Q continue de polariser, l’hypothèse d’une opération de diversion ou de captation de l’intelligence collective mérite d’être posée. Ce mouvement n’est peut-être pas une conspiration au sens strict, mais il pourrait être une dynamique de captation attentionnelle qui détournerait l’énergie mentale des citoyens afin que cette force de résistance s’écarte des vrais scandales politiques. Il canaliserait la défiance, l’angoisse et la recherche de sens vers un labyrinthe de signes et de symboles, où la vérité se confond avec la croyance et où chaque réponse appelle une nouvelle question. «L’astuce de Q était de poser des questions au monde et de laisser les internautes réfléchir», commente Florian Cafiero. Autrement dit, Q, pourrait être le rubik's cube des chercheurs de vérité qui se font emmener dans une voie de garage. Mais peut-être pas...


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Paul Furber, Stanislas Berton: deux voix d’une même enquête

Le livre de Paul Furber offre un point de vue singulier parce qu’il est rédigé par quelqu’un qui a, à un moment donné, été au centre des relais du mouvement, voire à l'origine, à en croire Jean-Baptiste Camps et Florian Cafiero. Loin d’être une analyse extérieure sceptique, c’est un témoignage de l’intérieur, une tentative de montrer comment, pour un certain public, l’Opération Q a incarné un espoir de réinformation contre une propagande qu’ils jugent omniprésente. La traduction française et la postface de Stanislas Berton élargissent cette lecture en la situant dans une guerre cognitive plus large, où la souveraineté des nations, la liberté de conscience et la capacité des citoyens à discerner le vrai du faux deviennent des enjeux de civilisation.


«Contrairement à ce qu'affirment les médias de masse ou pensent les dissidents mal informés, la résistance au mondialisme n'a pas attendu l'opération Q pour diffuser des informations sur la corruption de l'oligarchie mondialiste et la réalité de la guerre invisible.


A titre d'exemple, en 2016, une source prétendant être du FBI, a posté sur le forum de 4chan un grand nombre d'informations sur la corruption de la Fondation Clinton et la guerre de l'ombre contre le mondialisme. Intéressant de constater que nombre des analyses ou prédictions de cette source anonyme ont été confirmées depuis: victoire de Donald Trump en 2016, émeute Black Live Matters de 2020, affaire Epstein, le conflit entre la Russie et l'Otan via l'Ukraine et même quelques mentions intéressantes de Bill Gates...


En réalité, l'opération Q n'a été que la diffusion à plus grande échelle et bien packagée d'éléments connus de longue date par la résistance au mondialisme. On peut même être tenté de croire que les échanges comme ceux de la source de 2016 ont été une sorte de reconnaissance du terrain et de rodage du contenu avant le lancement de l'opération Q en 2017.


Toutes les armes pour mener efficacement la guerre de l'information contre le mondialisme vous ont été livrées mais pour vous empêcher d'en prendre possession et de les utiliser pour gagner cette guerre, un gros autocollant "danger complotisme" a été collé dessus pour faire peur à ceux qui soucient de leur réputation ou de ce que pensent les autres. Arrêtez de vous soucier de ce qui fait consensus. Cherchez la vérité. Arrêtez de chercher à gagner des débats. Cherchez à gagner tout court.», explique Stanilas Berton.

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Berton ne se contente pas de juger vrai ou faux: il explore comment ce type de mouvement, qu’il soit fondé sur des faits vérifiables ou des significations symboliques, reflète une crise profonde de la relation entre les peuples et leurs récits collectifs. La dimension spirituelle de cette quête de vérité n’est pas anecdotique, selon lui: elle est l’expression d’une humanité en tension entre désillusionnisme global et aspiration à un sens plus profond. Il viendra s'exprimer sur le sujet lors d'une conférence le mardi 13 janvier à Aubonne, invité par la toute nouvelle Fondation Themisa Gioia co-fondée par Michelle Cailler et organisée par Planetpositive et votre serviteur. Cette conférence n'aura pas pour but de trancher définitivement entre vérité et illusion, mais d'inviter chacun à questionner, discerner et penser le monde au-delà des apparences, car la liberté de conscience demeure, au bout du compte, l’enjeu central de notre temps.

En plus de mettre possiblement en lumière une réalité cachée du pouvoir, ce phénomène révèle une réalité ouverte: la formidable ingénierie à manipuler les consciences, que l'on soit patriote ou mondialiste. Que l’Opération Q soit une rébellion cognitive, un complot, une diversion ou un nouveau genre de mouvement spirituel et politique, elle reste une fenêtre sur notre époque, un miroir où se reflètent nos peurs, nos espoirs, nos divisions et notre besoin de connexion.

Q pourrait bien être un appel d'air favorisant la combustion des mensonges, ou tout du moins, l'expression d'un désir collectif ardent de s'en libérer. Dans un monde saturé d’informations, de manipulations possibles et de récits prêts à penser, sommes-nous encore capables de discerner par nous-mêmes ce qui relève de la vérité vécue, ou cherchons-nous avant tout des histoires capables de donner sens à notre peur du chaos et à notre soif de justice? Réponse le 13 janvier à 20h.



2 commentaires

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Invité
il y a un jour

Bonjour Isabelle,

Oui excellente synthèse.

J'ai suivi la rubrique sur le sujet Qanon de Marc Fajal dans la revue TopSecret (dont le dernier numéro arrive en février... ) et écouté Stanislas Berton et me suis toujours sentie sceptique sur tout cela.


Ton article que je viens de découvrir dans mes mails, est une synchronicité de plus (il y en a beaucoup en ce moment !), car il confirme ma position dans un débat ce midi entre des convaincus que les ovnis sont une réalité et d'autres qui pensent que c'est suspect d'y croire... pour résumer.


Peut-être que je pourrai écouter la conférence du 13 janvier...

Et je pense qu'en ces temps de grande confusion, c'est important de se relier pa…

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valettec5
il y a 2 jours

Merci Isabelle pour cette excellente synthèse autour de Q.

À la recherche de la vérité, j’ai passé quelques mois dans des groupes de Qanon et j’avais envie de croire qu’il y avait des sauveurs qui allaient nous sortir du pétrin, arrêter les « méchants », faire émerger la vérité etc. J’y ai trouvé des personnes assez fanatisées et intolérantes et j’ai poursuivi ma route.

Je suis intéressée par la conférence de Stanislas Berton (j’ai lu son livre sur le sujet). Y a-t-il la possibilité de s’inscrire pour suivre la conférence en ligne ou de se procurer le replay ? J’habite trop loin pour venir.

🙏🏾 pour votre travail précieux, je frétille quand la petite cloche de Planète Vagabonde s’allume.

Catherine

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